EMMANUELE BERNHEIM
2011
Catalogue du Salon de Montrouge 2011 aux éditions Particules




Quand on découvre les photos de Jérémie Lenoir, on est frappé par la rigueur de leur composition, et aussi par leur diversité, deux qualités rares chez un aussi jeune photographe - Jérémie Lenoir est né en 1983.

La rigueur d’abord. Il n’y a pas de ciel dans ces photos, pas de ligne d’horizon. Rien n’est immédiatement reconnaissable, nous sommes sans repères, aux limites de l’abstraction. Prenons "Horizons flous". Ces lignes blanches, telles les nervures d’une feuille, qui traversent la grande étendue ocre de ce champ, qui aurait su dire qu’elles résultent de l’installation d’un système de drainage que l’agriculteur a enterré, faisant ainsi remonter à surface des mottes de terre plus claires venues des profondeurs ? Et ces "Résurgences Urbaines", ces lignes et ces formes - que l’on croirait dessinées par Paul Klee - vertes sur l’herbe rase, comment y deviner les vestiges d’un campement de Roms, la trace des chemins et des habitations de leur ville précaire ?

Rigueur toujours, Jérémie Lenoir ne joue ni avec la perspective, ni avec l’échelle. À la différence d’Alex MacLean, ses photos sont toujours prises à la même altitude : 1500 pieds, 500 mètres donc.

Nul jeu d’ombres non plus, ses photos sont toujours prises à la même heure : 12h à l’heure d’été, 14h à celle d’hiver. Une exception cependant, le merveilleux "Manège de petits chevaux" a été pris de plus bas - ce qui permet de distinguer des milliers de traces de sabots dans la terre meuble - car le terrain d’entraînement du fameux Cadre Noir de Saumur est situé au bout de la piste de l’aérodrome, si proche que le DR400, l’avion qu’utilise le photographe ne peut, à une si courte distance, prendre suffisamment de hauteur.

La diversité enfin. Ces champs, ces entrepôts, ces étendues d’eau, ces parkings, ces bateaux, ces serres, semblent dessiner un pays tout entier. Il s’agit pourtant d’un petit triangle isocèle formé par Niort, Blois et Nantes. Mais cette étendue, bien que réduite, est selon Jérémie Lenoir "représentative de tout le territoire français (...) en termes d’installations et d’infrastructures (...). Mes sujets photographiques ne s’attachent pas à relever des spécificités locales mais plutôt à témoigner des réalités contemporaines. Dès lors, si les processus politiques et économiques régissent nos paysages à l’échelle nationale, ces clichés auraient tout aussi bien pu être capturés dans une autre province."*

Pendant longtemps, ce jeune ingénieur, qui voulait devenir pilote, tout absorbé qu’il était par ses instruments de vol, n’a rien vu de ce qui se déroulait au-dessous de lui. Et puis il est entré à l’École des Beaux-Arts d’Orléans. Et les yeux du pilote se sont ouverts.

Depuis, à 1500 pieds au-dessus de nos têtes, dans la lumière de midi, Jérémie Lenoir voit ce qui nous est invisible et parfois même caché.

De là-haut, dans le ciel, cet étonnant jeune homme capte le réel pour nous le restituer ensuite dans sa fascinante - et souvent inquiétante - abstraction.

*Jérémie Lenoir. Territoires occupés. 2009. LME éditions.

Emmanuèle Bernheim