DEMARCHE ARTISTIQUE
ARTIST STATMENT




Produit des processus politiques et économiques, le paysage contemporain évolue aujourd’hui jusqu’à disparaître dans son assujettissement. Les «tiers paysages» ou les «non lieux» de Marc Augé se multiplient avec analogie à grande échelle, alors que les périphéries saturées des villes se cloisonnent dans des architectures impersonnelles et déshumanisées. «Lorsqu’un paysage a perdu sa cohérence, disait Alain Buttard, le seul sens que puisse lui donner un photographe, c’est celui de la cohérence perdue!». Depuis 8 ans, mes divers travaux proposent de construire une anthropologie des territoires français en observant leurs évolutions, leurs mutations, et en montrant comment peu à peu les formes et fonctions de nos espaces de vie se globalisent.
As the product of political and economic processes, the contemporary landscape has evolved today to disappear into its own constraints. The «third landscape» or «non-places» of Marc Augé are nowadays multiplying on a large scale, while saturated urban peripheries are compartmentalized in impersonal and dehumanized architecture. “When a landscape lost its consistency, it makes sense for the photographer only as a landscape which lost its consistency”, Alain Buttard said. For the past 8 years, my various projects propose to construct an anthropology of the French territories by observing their evolutions, their mutations, and by showing how gradually the forms and functions of our living areas globalized.

Au sein d’espaces vernaculaires, mes études photographiques tentent de renouveler les postulats émis par la DATAR et le géographe américain John B. Jackson dans les années 80. Les prises de vues qui les composent n’ont pas de sujet propre ou d’intention visant une représentation objective d’une «vérité» du paysage. Composant une mise à distance ontologique, le point de vue aérien est utilisé comme outil et non comme finalité, permettant ainsi, au travers d’un parti pris pictural très fort, de se dégager des codes de la discipline. S’inscrivant dans la sérialité, les photographies font sens et corps sans individualité grâce au respect d’un protocole de réalisation rigoureux, à la sélection précise des lieux capturés, et au dessin de cadrages volontairement désorientants. L’abstraction, la platitude et la neutralité sont ici revendiqués comme interfaces entre le fond et la forme des sujets, construisant minutieusement ce que Barthes nommait des «photographies pensives».
At the heart of vernacular spaces, my photographic studies attempt to renew the assumptions issued by the Datar and the American geographer John B. Jackson in the 80s. The photographic shots that compose them have no particular intent to deliver an objective representation of the «truth» of a landscape. By composing an ontological distancing, aerial perspective is used as a tool and not as a goal, allowing, through a very strong pictorial bias, a liberation from the codes of the discipline. Falling within the seriality, my photographs make sense without individuality, but thanks to the respect of a meticulous selection of scenes, a precise shooting protocol and deliberated disorienting picture framings. Abstraction, flatness and neutrality are here claimed as interfaces between content and form of the subjects, minutely building what Barthes referred to as «thought photographs.»

Cette transfiguration du paysage enregistré en tableau abstrait conduit tout d’abord à remettre en question le médium photographique dans sa capacité à retranscrire le réel. L’instauration d’une véritable confusion entre photographie et peinture invite à porter sur les paysages un regard nouveau, singulier et sensible. La suppression d’éléments majeurs – le ciel, la ligne d’horizon ou les infrastructures identifiables – nous perd dans un univers irréel que nous ne parvenons plus à reconstituer mentalement de notre point de vue familier. Dès lors, il ne reste de la réalité que des géométries radicales ou des textures indécises, des lignes totalitaires ou des frontières confuses. Pour quitter la dialectique imaginaire des formes et des couleurs, nous devons décrypter l’image afin d’accéder à la compréhension de sujets issus d’un monde que nous savons réel, mais que nous ne pouvons immédiatement accepter.
The transfiguration of the landscape embodied in abstract painting leads one firstly to question the photographic medium in its capacity to recreate reality. The introduction of real confusion between photography and painting invites the spectators to share a unique and sensitive point of view on the landscapes. With the removal of major elements (sky, horizon or any identifiable infrastructures), we are lost in an unreal universe which we are no longer able to mentally recover from our familiar viewpoint. Therefore, the only remains of reality are radical geometries or indecisive textures, totalitarian lines or confusing borders. To exit the imaginary dialectic of forms and colors, we must decipher the image to accede to the comprehension of a world that we know to be real, but we are not able to immediately accept.

Dans un second temps, la conjugaison du point de vue aérien et de l’abstraction permet d’interroger la capacité de nos territoires contemporains à délivrer une quelconque forme d’intelligibilité. Que regardons-nous ? Que faisons-nous ? Que construisons-nous ? Le choix des lieux et de leur représentation nous renvoie à la contemplation fascinée du chaos tout en proposant, dans leur rendu, une tentative de réconciliation avec une possibilité du paysage. Dénigrés comme «lieux» à part entière, les espaces ici capturés se transforment en objets portant dans leur forme un engagement social et révélant, comme dans les productions d’Holger Trülzsch, «une matrice» de notre société.
In a second phase, the combination of aerial perspective and abstraction permits an investigation on the ability of our contemporary territories to deliver any form of intelligibility. What are we looking at? What are we doing? What are we building? The selection of places and their pictural representation refer to the fascinated contemplation of chaos while also providing, in their rendering, an attempt of reconciliation with a landscape possibility. Denigrated as «places», the spaces transform itself into objects that carry social commitment and reveal, as in Holger Trülzsch’s works, a «matrix» of our universalized identities and societies.

Entre la nécessité de capturer le réel et celle de sa transfiguration en tableaux, mes photographies tentent ainsi d’apporter à nos territoires contemporains un réalisme nouveau.
Thus, between the necessity of capturing the reality and its transfiguration into paintings, my pictures are attempting to give a new realism to our contemporary territories.






PROTOCOLE DE REALISATION
PROTOCOL OF REALIZATION




Plus qu’une sélection d’images, mes projets s’organisent autour d’une sélection précise de lieux. En choisissant de se déplacer en avion plutôt qu’en hélicoptère, il est financièrement possible de réaliser un grand nombre de survols de chaque espace (au moins une quinzaine) tout au long d’une ou plusieurs années. Chaque cession permet ensuite de reprendre des photographies, d’affiner les cadrages parfois de quelques millimètres, et ainsi de redessiner petit à petit les paysages comme l’on ferait des esquisses ou des croquis. Mes projets ont ainsi été abordés plus à la manière d’un peintre que d’un photographe, afin d’une part que le point de vue aérien ne reste qu’un outil, mais également pour faire émerger dans les images des influences picturales puisées dans la peinture. Cette démarche a permis de véritablement épuiser les lieux ; en se les appropriant et en suivant leur évolution au fil des saisons, ils devenaient dans l’objectif de plus en plus simples, évidents et abstraits.
More than a selection of images, my projects are organized around a specific selection of places. By choosing to travel by planes rather than by helicopters, it is financially possible to achieve a large number of flights over each space (at least fifteen) during the course of a full year. Each flight is then used to retake photographs, to refine the position of the frames sometimes by only few millimeters, and so gradually reshape the landscape as one would making sketches or drawings. In this way, my projects have been approached more in the manner of a painter than a photographer, with the strong will that the aerial perspective remains a mere tool, but also to allow me to express my pictorial influences from painting. This approach has permitted a genuine exhaustion of the selected spaces : following their progresses through the seasons helps me to see them as obvious and abstract subjects.

Dans cette continuité, toutes les images des corpus ont été enregistrées à une altitude identique de 1500 pieds, c’est-à-dire à environ 450 mètres du sujet. Après la délimitation de l’espace géographique étudié, la fixation de cette altitude est la première donnée du protocole de prise de vues. En travaillant avec une optique fixe, elle permet une régularité et une grande précision dans le traitement des échelles entre chaque photographie. L’expérience a aussi montré qu’à une altitude inférieure les détails s’identifiaient trop rapidement, et qu’à une altitude supérieure les effets de matière et le rapport à la taille humaine se perdaient.
As part of this continuity, all the images are recorded at the same altitude of 1500 feet, that is to say, about 450 meters from the scene. After the definition of the specific geographical area, fixing this altitude is the first element of my shooting protocol. I then always use the same fixed optics to enable consistency and accuracy in the treatment of the scale between each photograph. Experience has also shown that at a lower altitude the details identified themselves too quickly, and that at a higher altitude the relationship to the human scale was lost.

La troisième donnée du protocole est l’heure de la prise de vue ; elle participe, comme l’altitude, à la rigueur nécessaire pour obtenir une série d’images cohérentes. Ainsi, toutes les photographies ont été réalisées autour de midi, lorsque le soleil est au zénith et que la lumière ne peut être utilisée de façon habituellement esthétisante. C’est à ce moment du jour que la colorimétrie obtenue est la plus neutre, la lumière du soleil écrasant alors tous les reliefs, toutes les ombres, toutes les couleurs. De cette façon, les images ont un rendu très plat, à la façon des Becher ou de Stéphane Couturier par exemple qui travaillaient avec des ciels couverts. Cette platitude revendiquée permet d’accentuer le trait commun du lieu photographié et de mettre en avant son sens plutôt que sa représentation. Elle se trouve même renforcée par le choix d’une technique d’impression directe sur la matière brute, qui accentue le rapport essentiel dans les photographies à la matière et à la texture.
The third data protocol is the time of shooting which contributes, like altitude, to obtain a rigorous and coherent set of images. Thus, all the photographs were taken around noon, when the sun is at its zenith and the light can not be aesthetically used. It is at this time of day that the colorimetry obtained is the most neutral, the light of the sun at this time crushes all relief, all shadows, all colors. In this way, images have a very flat render, in the style of the Bechers or Stéphane Couturier for example, who worked with overcast skies. This flatness enables the emphasis of the photographed space common feature and highlights its meaning rather than its representation. Finally, all these parameters are reinforced by the choice of a direct printing technique on a raw material, that emphasizes the essential relationship in the photographs to the matters and textures.

Rien dans mes photographies n’est altéré, ajouté ou supprimé.
Nothing added, nothing removed, no Photoshop