FABIEN RIBERY
2024

Extrait de la monographie MARGES



Les Barricades Mystérieuses
The Mysterious Barricades


Ce pourrait être une peinture inédite de Hans Hartung, Antoni Tàpies, ou Gerhard Richter, mais il s’agit de paysages photographiés depuis de petits avions, à la même heure, à la même altitude, et avec la même échelle, depuis 2012 par Jérémie Lenoir.
They could easily be new paintings by Hans Hartung, Antoni Tàpies, or Gerhard Richter, but, in fact, they are photographs by Jérémie Lenoir: landscapes shot from a small airplane in flight, at the same hour of the day, from the same altitude, and with the same scale, since 2012.

Des vues sidérantes de notre Terre-Mère, la Pachamama, réduite à des formes géométriques, abstraites, ordonnées selon une logique échappant d’abord à la pensée raisonnée, à Gennevilliers, Le Havre, Guitrancourt, Larchant, Achères, Grand-Couronne, Saint-Denis...
These are stunning images of our Mother Earth, the Pachamama, reduced to geometric, abstract forms and organized by a thought process that initially eludes rationality; they were taken at Gennevilliers, Le Havre, Guitrancourt, Larchant, Achères, Grand-Couronne, Saint-Denis…

Ce sont des sables, des marges, des lisières entre villes et campagnes.
These are the sands, edges, and borderlands between towns and the countryside.

Ce sont les preuves d’un désert croissant, pour reprendre une célèbre formule nietzschéenne plusieurs fois commentée par Martin Heidegger, mais aussi celles d’une profusion inouïe de forces témoignant du génie de la vie inventant sa loi de présence jusque dans la mort.
They are evidence that, in Nietzsche’s famous saying, which Heidegger discussed several times, “The desert grows.” Yet they are also a sign of the unprecedented profusion of forces that bear witness to the genius of life, which invents its law of presence even in death.

Cet ensemble, réalisé le long de l’Axe Seine, est une réflexion en images sur la puissance de reconfiguration de la nature par la démesure d’une logistique dévorant les espaces.
This collection, photographed all along the Seine Axis, is a reflection in images on the power and excess with which nature is being reconfigured by a logistics that devours space.

Jérémie Lenoir travaille au cœur de l’esthétique de la disparition, découvrant des ordres transcendants là où l’œil s’égare d’abord.
Jérémie Lenoir works at the core of the aesthetics of disappearance, discovering transcendent order in places where the eye begins by getting lost.


Vue du ciel, la terre malmenée joue au calligraphe, créant des lignes harmoniques, presque spirituelles, dans la violence des chantiers.
Seen from above, the mistreated land plays at calligraphy, taking the violence of building sites and creating from it lines that are harmonic and almost spiritual.

Vu du ciel, le gigantisme des exploits capitalistes paraît un jeu de constructions pour enfant.
Le vide n’est pas le contraire du plein, mais sa possibilité de manifestation.
Le sol est remué, brassé, recomposé, dans le jeu s’élaborant entre les échelles de grandeur.
Les photographies de Jérémie Lenoir sont des parois grattées, griffées, hachurées.

Seen from above, the enormous overgrowth of capitalist exploits seems akin to a child’s construction set.
Emptiness, instead of being the opposite of fullness, is the possibility that allows it to appear.
The ground is shifted around, mixed up, recomposed, in a game played out between scales of magnitude.
Jérémie Lenoir’s photographs are walls that have been scratched, clawed, crosshatched.


Que voit-on ?
Des pluies de ciment.
Des microprocesseurs.
Des coulures de peinture.
Des taches.
Des surfaces passées au blanc.
Un camion miniature tel un jouet d’acier.
Des traces de patins à glace.
Du plâtre.

What do we see?
A rainfall of concrete.
Microprocessors.
Drips of paint.
Stains.
Whitewashed surfaces.
A miniature truck that looks like a toy.
Tracks left by ice skates.
Plaster.


Mais ce que nous devinons reste une énigme de plis, de routes et de déroutes, telle une toile froissée de Simon Hantaï.
However, what we perceive remains an enigma of creases, of routes and diversions, an enigma that is akin to one of Simon Hantaï’s folded canvases.

Nous sommes au cœur d’un écheveau de poussières, d’une géométrie follement minutieuse, de barricades du néant.
We are at the heart of a tangle of dust, of a madly meticulous geometry, of barricades of nothingness.

Nous sommes dans du langage fondamental.
We are within a basic language.



Fabien Ribery

d'après la version initiale de 2019